Le 24 décembre dernier, paraissait notre critique de l’album Sounds Of Ancestors[1], premier projet discographique d’Anousha Nazari en collaboration avec Jeyran Ghiaee. En cette fin de mois de mars et début de printemps, la soprane présente un nouveau projet artistique, Khosrow & Shirin, en collaboration avec le compositeur et multi-instrumentiste Sepand Dadbeh. Un projet que nous avions indirectement évoqué dans notre écrit précédent et sur lequel nous allons aujourd’hui nous pencher un peu plus en détail.
Khosrow & Shirin, un projet porté par Sepand Dadbeh
Si Khosrow & Shirin signe bien un duo entre la chanteuse lyrique Anousha Nazari et l’instrumentiste Sepand Dadbeh, c’est ce dernier qui semble à l’initiative de ce projet, y étant impliqué en tant que producteur, compositeur et directeur artistique. Le parcours de la native de Sari ayant déjà été rapidement retracé dans nos colonnes, nous nous attarderons cette fois sur celui de son comparse.
La lecture de sa notice biographique nous apprendra que ce jeune trentenaire est né au sein d’une famille d’artistes. A neuf ans, il commence à s’intéresser à la musique, se familiarisant dans un premier temps au tombak avant de maitriser le tambour et l’oud, sous la houlette de quelques-uns des meilleurs instrumentistes iraniens tels que Sohrab Pournazeri ou bien Arsalan Kamkar. En 2011, il intègre le Shams Ensemble sous la direction de Kaykhosrow Pournazeri et se produit aux côtés d’artistes comme : Sohrab et Tahmoures Pournazeri, Homayoun Shajarian, Alireza Ghorbani ou Antonio Rey Navas.[2]
En 2012, il cofonde le collectif Jansouz, une formation nommée d’après le pseudonyme artistique de l’un de ses grands-pères, interprète reconnu en Iran et fin connaisseur de l’histoire culturelle et musicale persane. Avec le collectif Jansouz, Sepand Dadbeh compose et interprète une musique au carrefour de différentes influences, modes et disciplines, toutes en lien avec la civilisation culturelle iranienne. Son travail de compositeur, de troubadour, est présenté comme mêlant à une compréhension originale de notre époque, la rigueur de ses pairs antédiluviens[3]. L’homme est titulaire d’un Bachelor of Art (musique iranienne) obtenu en 2015 à l’Université de Téhéran et d’un Master of Art (musique du monde) qu’il décroche à la Codarts University for the Arts de Rotterdam en 2020.[4]
Depuis ses débuts, Dadbeh a pu multiplier les collaborations avec de nombreux artistes et experts du monde entier. Chacune d’elles étant pour lui l’occasion d’allier ses deux passions : celle de la performance musicale et celle de l’entrepreneuriat culturel. Des collaborations qui le conforteront dans sa décision prise de poursuivre ses études dans le domaine de l’économie et de l’entrepreneuriat culturel aux Pays-Bas[5].
Entre musique, poésie, peinture et vidéo : exorde d’un projet multidisciplinaire
Projet indépendant à but non lucratif, produit et réalisé par Sepand Dadbeh entre Paris, Rotterdam et Téhéran, Khosrow & Shirin est directement inspiré d’une des œuvres majeures de la poésie persane classique : le poème éponyme écrit à la fin du douzième siècle par Nezami et constituant le second livre de son Khamsé, la somme des écrits sous forme de mesnavi de cet auteur nous étant parvenue. Un texte épique, mystique, empreint d’universalité, présentant l’ histoire du roi Sassanide, Khosrow II, appelé aussi Khosrow Parwis, et d’une princesse chrétienne originaire d’Arménie du nom de Shirin. Une histoire déjà évoquée par écrit près d’un siècle plus tôt par Ferdowsi dans son Shâhnâmeh que Nezami, pour partie, reprend, retouche et développe. Il en fera le récit d’une épopée courtoise, chevaleresque, mystique et tragique et en assurera ainsi la pérennité et la popularité.[6] Plusieurs siècles après les poètes de Tous et Gandja, l’histoire de Khosrow & Shirin fascine et inspire toujours. Beaucoup même y voient un « équivalent oriental » à des textes comme Tristan et Yseult de Théodore Hersart de La Villemarqué ou Roméo et Juliette de William Shakespeare en Occident.
Conçu comme un projet multidisciplinaire, Khosrow & Shirin, coproduit par Sepand Dadbeh et l’association Godishapour se fera jour progressivement et en différents moments. Le premier d’entre eux sera la parution d’une série de quatre vidéos, dont la première, intitulée « Le temple de feu », sera symboliquement dévoilée en intégralité le 26 mars 2022. La date du 26 mars étant celle de la naissance de Zoroastre[7] et jour international de Norouz, le Nouvel An iranien.
La musique est signée du collectif Jansouz, les différents musiciens intervenant sur ce premier morceau étant : Sepand Dadbeh (composition et tambur), Khorshid Dadbeh (tambur) et Anousha Nazari (chant). Les mixage et mastering du titre étant dus à Davide Fortugno. Interprété en mars 2021 sur les ondes de RFI, à l’occasion des 30 ans d’existence de la rédaction persane de cette radio, le titre, donné à entendre cette fois dans sa version studio, affiche une durée d’un peu plus de sept minutes au compteur. Sept minutes de musique au rythme crescendo qui donnent à apprécier autant se technique que de maitrise de la part de Sepand Dadbeh dans le jeu du tambur , son expressivité sans grandiloquence (permise par une instrumentation des plus sobres), mais aussi dans la composition du morceau. Musicalement, le titre semble tout à fait respecter le canon de la musique traditionnelle persane, pour autant, du moins, que nos pauvres oreilles peuvent en juger, notre connaissance en la matière étant encore des plus limitées… Si le rythme de la composition se fait progressivement ample et relevé le chant d’Anousha Nazari apporte ce qu’il faut de contraste, de profondeur, voire même de douceur, en écho au son tambur.
L’idée du clip illustrant le morceau est venue à Saba Nassiri, la captation des images, qui s’est faite dans l’enceinte du Musée national des arts asiatiques Guimet (Paris), et l’œuvre de Shayan Rahmati et leur montage celle d’Omid Mardanbeig. Le résultat donne à voir un clip vidéo de prés de neuf minutes. Le tout est introduit par une séquence de deux minutes où des images et des incrustations évoquant l’antique Perse accompagnent la trame de cette légende populaire et permet de contextualiser l’épisode ayant inspiré cette mise en image : ce moment où Shirin chante le « Chant du Temple de Feu de Karkuy », ravivant le feu dans le cœur de Khosrow alors qu’il marche vers la bataille. L’ensemble est assez réussi, l’image est belle et le montage sans excès et soigné, ce qui permet d’apprécier la beauté du cadre offert par le Musée Guimet. Une vidéo qui, selon nous, peut aussi être vue comme une sorte de mise en abyme, révélatrice de la démarche artistique entreprise par Dadbeh depuis ses débuts.
Une première vidéo réussie, prologue à un voyage que l’on peut espérer agréable. Avis aux amateurs et aux curieux.
La vidéo en intégralité:
Sepand Dadbeh , Anousha Nazari, Khosrow & Shirin , « Fire Temple », Gondishapour, Jansouz Collective, 2021.
Xavier Fluet @LaGazetteDeParis
[1] Xavier Fluet, « Anousha Nazari & Jeyran Ghiaee – Sounds Of Ancestors », La Gazette De Paris, 24/12/2021. Lien : https://www.lagazettedeparis.fr/critique-musicale-anousha-nazari-jeyran-ghiaee-sounds-of-ancestors-2021/
[2] Press Kit, page 7.
[3] Id.
[4] Site web de Sepand Dadbeh, section « Biography ». Page consultée le 22/03/2022. Lien : https://www.sepanddadbeh.com/bio/
[5] Cf. Note 2.
[6] Maryam Devolder, « Khosrow et Shirin », La Revue de Téhéran, N° 17, avril 2007. Page consultée le : 22/03/2022. Lien : http://www.teheran.ir/spip.php?article306#gsc.tab=0
[7] Fondateur du zoroastrisme ou mazdéisme, religion officielle des empires perses mède, achéménide, parthe et sassanide et qui, avant les conquêtes arabes de 633-656 avant J.C. était l’une des religions majoritaires de l’ancienne Perse.