Queen- Face It Alone (2022)

Le 13 octobre dernier, les membre survivants du quatuor anglais Queen dévoilaient en streaming Face It Alone, titre enregistré près de trente-quatre ans plus tôt, lors des sessions d’enregistrement et genèse de The Miracle, leur treizième album studio. Un titre qui, pour la première fois depuis 2014, nous donne à découvrir une performance vocale inédite de Freddie Mercury. Ci-après, nous vous livrons nos impressions.

Flashback : 1988- 1989, sessions d’enregistrement londoniennes et montreusiennes

Sorti le 22 mai 1989, The Miracle et le treizième joyau de la couronne et fruit d’environ une année de travail de la part du groupe Queen et de différentes sessions d’enregistrement s’étant déroulées entre le Royaume-Uni et la Suisse, entre les quais de la Tamise et les bords du Lac Léman. En Suisse, Queen et le producteur David Richards travaillent là où, depuis des années, ils ont leurs habitudes et où Queen enregistre de manière quasi systématique large part de sa discographie depuis 1982 et la parution du très disco Hot Space : au Montains Studios. A Londres ce sont les Olympic et Townhouse Studios qu’ils investissent. Tenues par intermittences au long de ces douze mois, les sessions prennent fin au mois de février 1989, à peine plus de trois mois avant la parution effective du disque.

En cette fin des années 80, Queen n’est plus à la fête et celle-ci semble bel et bien sur le point de se terminer. Freddie Mercury, qui a publié une reprise de The Great Pretender et à proposer Barcelona en duo avec la Caballé, se sait assurément porteur du VIH et malade, en a fait l’annonce à ses comparses (sans que cela ne soit évidement rendu public) et a décidé de ne plus tourner. Brian May, lui, est tiraillé entre deux femmes, en pleine déprime, en plein divorce et doit faire le deuil de son père[1].  John Deacon envisage également de se séparer de son épouse alors que Roger Taylor, lui, a sauté le pas et a fondé le groupe The Cross, dont il vient de publier le premier opus[2]. L’ambiance générale est morose, mais les relations et l’entente entre les quatre musiciens se trouvent à nouveau au beau fixe[3]. En effet, grande décision d’ordre pécuniaire vient d’être prise : pour la première fois de leur carrière débutée officiellement en 1973, les quatre zouaves se partageront à parts égales l’ensemble des droits d’auteurs et royalties générés par The Miracle, l’album à paraitre et qui, pour l’heure, s’appelle encore The Invisible Men[4]. Ainsi, toutes les chansons écrites et composées par Queen seront désormais exclusivement signées…Queen ! Sur ce point, Roger Taylor dira plus tard :

« C’est la meilleure décision que nous ayons jamais prise. Elle liquidait tous les problèmes d’ego et de mérite »[5]

A ce titre, la pochette de l’album The Miracle, réalisée par le graphiste le graphiste Richard Gray[6],  est très évocatrice et symbolise cette entente et cohésion retrouvée au sein du groupe, les quatre visages n’en formant désormais plus qu’un seul, avec autant de paires que nécessaire…

Pas moins de trente compositions seront travaillées pour bâtir l’album à paraitre. Certaines demeureront à l’état de « brouillons », d’autres seront à peine ébauchées musicalement, d’autres encore éteindront l’état de maquettes. Enfin, parmi la quinzaine de titres exploitée en 1989, certains échoueront soit sur l’album, soit seront dévoilés en faces B des cinq singles qui soutiendront The Miracle, soit sur l’album posthume du groupe ou sur le premier effort discographique de son guitariste. Tirées de cette liste, nous pouvons citer : Chinese Torture , Hang On in There , StealinHijack My Heart, My Life Has Been Saved ou bien  Too Much Love Will Kill You[7]. A cette ribambelle, il est aujourd’hui permis d’ajouter : When Love Breaks Up, You Know You Belong to Me, Dog with a Bone, Water ou encore I Guess We’re Falling Out, des morceaux tout droit sortis des archives, retravaillés pour l’occasion, et que la réédition à venir de The Miracle, le 18 novembre prochain, donnerons l’occasion, aux fans comme aux profanes de (re)découvrir…

Il en est de même pour ce Face It Alone ,tant attendu , et sur lequel nous allons maintenant nous attarder.

Face It Alone : Diamant de la couronne « oublié » 

C’est donc ce 13 octobre dernier que ce « bijou » qu’est Face It Alone est sorti accompagné ce même jour par la mise en ligne d’une première vidéo dédiée, dite « lyrics vidéo », qui donnait à découvrir ses paroles. Précisons qu’il s’agit là de la première chanson inédite avec Freddie Mercury au chant principal depuis 2014 et les sorties de Love Kills ( retravaillée), Let Me In Your Heart Again et There Must Be More to Life Than This ( en duo avec Michael Jackson), toutes les trois publiées sur disque à l’occasion de la sortie de la compilation Forever, chez Universal Music.

Single éclaireur, le morceau qui nous occupe est là pour commencer à assurer la promotion de The Miracle Box Set, un riche et très imposant projet centré sur la réédition de l’album The Miracle. Cette sortie est en tous points comparable à celle du News Of The World 40th Anniversary  Box set, réédition de l’album éponyme de 1977 et sorti lui en 2017, et sera donc  un coffret de pas moins de  huit disques : Vinyle LP/5CD/DVD/Blu-ray. Le contenu annoncé aura réellement de quoi ravir les fans, comme précédemment. De cela, nous ne doutons point. De plus, remarquons, si tant est que cela soit nécessaire, que ce nouveau produit labélisé Queen sort à point nommé, c’est-à-dire : quelques semaines à peine avant Noël.

Venons-en maintenant plus spécifiquement à Face It Alone. L’équipe en charge du marketing du groupe (et ses membres restants, à grand renfort de communiqué de presse et autres entrevues) nous présente cette composition comme originellement perdue, retrouvée et/ou oubliée. Tel ne semble pourtant pas être le cas, loin de là. En effet, tout admirateur du quatuor londonien s’étant depuis longtemps laissé tomber dans les arcanes de sa discographie, officielle comme officieuse, s’étant mis en quête de bootlegs et  autres raretés en tous genres à forcement croisé Face It Alone, ce ne serait-ce que sur le papier, les livres consacrés au groupe mentionnant son existence ne manquant pas… On ne compte plus les sujets ouverts par les fans du monde entier sur les forums, en discutant, en mentionnant la prétendue beauté, la richesse ou la longueur( Face It Alone passant pour être l’une des compositions les plus longues du répertoire de Queen, avoisinant, dans sa version non finalisée, les dix minutes). A ce titre, nous ne pouvons pas ne pas mentionner ici cette démo qui, depuis des années, est facilement accessible sur la toile, s’étend sur presque six minutes et dont la forme brute , inachevée, et les aspérités sonores originelles, propres à toute maquette, ne pouvaient manquer de susciter la curiosité, l’intérêt profond et sincère de toute personne considérant la musique de ces quatre Britanniques et en particulier de leurs plus fervents admirateurs. De ce point de vue, oui, Face It Alone était un titre plus qu’attendu, et ce, depuis (très) longtemps !

L’existence et la parution du titre a été révélée pour la première fois par  Brian May et  Roger Taylor lors d’une interview à la radio pour la BBC donnée à l’occasion de leur prestation lors d’un concert en plein air organisé pour célébrer le jubilée de platine de la reine Elizabeth II et ses soixante-dix ans de présence sur le trône. Accompagnés au chant par Adam Lambert, Taylor et May ont ce soir-là ouvert les hostilités, se produisant en début de soirée devant 22.000 spectateurs, dont 10.000 tirés au sort et 5.000 travailleurs clés de la pandémie et quelques membres de la famille royale.[8]

Sur cette pièce exhumée des archives par leur équipe lors de la confection de la réédition de The Miracle, Roger Taylor confiera :

« Nous avions un peu oublié ce morceau, mais il était là, ce petit bijou. C’est merveilleux, une vraie découverte. C’est un morceau très passionné »[9].

Et Brian May de renchérir sur la chanson :

« Elle était en quelque sorte cachée à la vue de tous. Nous  y avons réfléchi à plusieurs reprises et avons pensé : oh non, nous ne pouvons vraiment pas sauver cela. Mais en fait, nous nous y sommes remis et notre merveilleuse équipe d’ingénieurs a dit : « OK, nous pouvons faire ceci et cela ». C’est un peu comme recoller des morceaux ensemble… mais c’est beau, c’est touchant. »[10]

« Je suis heureux que notre équipe ait pu trouver ce morceau. Après toutes ces années, c’est génial de nous entendre tous les quatre – oui, Deacy [John Deacon] est là aussi – travailler en studio sur une idée de chanson géniale qui n’a jamais vraiment abouti… jusqu’à maintenant. « [11]

Voilà qui est dit et qui annonce la couleur. L’équipe justement. Ici, nous retrouvons le combo au complet ( Deacon, May, Mercury et Taylor) secondé par l’ingénieur du son et ici coproducteur de l’album original, David Richards. L’équipe ayant œuvré à la réédition du disque et à rendre commercialisable Face It Alone en 2022 se compose elle de l’ingénieur Josh Macrae et de Kris Fredriksson  et Justin Shirley-Smith, qui ont produit et supervisé l’ensemble du projet de réédition.

Réduite aujourd’hui à quelques quatre minutes et onze secondes, Face It Alone est une ballade à rythme lent, tout à fait à l’image de bien d’autres titres composés par Queen au cours des années 80 et soutien en cela tout à fait la comparaison. La chanson sur des coups de caisse répétés, propre à donner au déroulé une certaine pesanteur, qui demeura présente sur l’ensemble de la composition. Tout juste les accords de guitares au son « cristallin » viennent-ils la compléter et la mettre d’autant plus en valeur, grâce au réussi contraste qu’ils provoquent sur cette première moitié de titre. La ligne de basse de John Deacon est elle aussi typique de ce qui fait l’efficacité intrinsèque de la musique jouée par Queen. Elle est en place,  bien audible, sobre et complète efficacement le rythme de batterie. Vient ensuite le solo de Red Special signé par notre docteur en astrophysique préféré. Celui-ci ce trouve réduit à l’essentiel, à son cœur même, sa partie centrale, si l’on compare à ce que la démo donne à entendre et imaginé. A défaut d’être d’une remarquable originalité, celui-ci fait parfaitement son office. La guitare de Brian May ayant toujours été, selon nous, l’élément musical le plus souvent mis en avant dans la musique du quatuor, après la voix de Farrokh le Grand, évidemment. La voix de Freddie Mercury elle aussi est égale à elle-même, et elle est celle de la dernière décennie de carrière du groupe. Si les envolées de notes haut perchées ont depuis longtemps cédé la place à une technique de chant en voix de poitrine plus sobre et commode , dans un registre médian ou bas, son timbre unique en son genre demeure d’une grande beauté. Pour un chanteur de cet acabit, oserons-nous dire, et au regard du répertoire de la reine, la performance est de facture classique. Classique, certes, mais impeccable, efficace et surtout très appréciable à (re)découvrir et écouter. Le fait d’entendre Mercury nous interpréter des lignes de chant totalement inédites ou presque n’y est pas pour rien et ne laisse pas insensible ( surtout, si l’on est « fan »…). On soulignera l’important travail de production et postproduction réalisé par les archivistes. C’est incontestablement la voix de Mercury qui confère toute sa singularité et sa beauté à cette ballade remarquablement douce-amère et cela à été remarquablement mis en avant ici. Effectivement, collages et suppressions « par-ci par-là » il y a eu. Cela se remarque, notamment la suppression d’une ligne de chant. Cela ne doit toutefois pas nous faire perdre de vue que ce titre était originellement inachevé. Le résultat obtenu peut certes décevoir quelque peu certains admirateurs de longue date, il n’en est pas moins respectueux du travail effectué il y a trente-quatre ans et reste somme toute très agréable à découvrir.

Les paroles sont très fortement empreintes de nostalgie et de tristesse, comme le serait un « final curtain call », traduisant certainement l’état d’esprit du chanteur au moment de les coucher sur le papier. Dans sa thématique, nous pourrions rapprocher Face It Alone du très beau et lugubre Was It All Worth It ?, bien présent, lui, sur The Miracle depuis 1989. Les deux titres se complétant, se prolongeant l’un l’autre assez bien.

Le récent clip sorti le 21 octobre 2022 donne à voir un montage fait d’images d’archives et d’animations centré sur le groupe et plus singulièrement son chanteur. Rien d’exceptionnel en soit, la vidéo, en ce qui concerne l’exploitation du catalogue de Queen, ne semblant plus être le plus important, la matière première devant manquer.

« Your life is your own

You’re in charge of yourself

Master of your home

In the end

You have to face it alone. »

*****

Si Face It Alone été sortie en single trente-quatre ans plus tôt et avait figuré sur The Miracle, elle n’aurait peut-être pas rencontré un succès fulgurant auprès des auditeurs à l’image d’autres tubes de Queen. Elle n’est pas de cet acabit-là. La chanson bénéficie incontestablement du fait de sortir en cette fin 2022, d’être déjà partiellement connue et fortement attendue de tous les fans et de nous permettre de découvrir une nouvelle performance vocale de son chanteur disparu. Cela compte pour beaucoup et lui assure un succès, tant commercial que d’estime.

Nous n’avons pas là la plus grande composition signée Queen, la plus belle mélodie et le plus beau et grand texte portés par la voix de Freddie Mercury. Aujourd’hui, ce n’est pas cela qui compte le plus, pas du tout. La chanson peut ne pas laisser indifférent, toucher ou même émouvoir. C’est la raison d’être de la musique, savante comme populaire. En octobre 2022, nous pouvons encore découvrir des performances inédites de Freddie Mercury (ou quasiment) et ça, ce n’est pas si mal.

Un bon titre qui fait son petit effet.

Xavier Fluet @LaGazetteDeParis

[1] Phil Sutcliffe , Queen : Les Rois du rock, E/P/A, Vanves, 2016, page 212.

[2] Id.

[3] Marie Berginiat et Nick Braae, Queen la discographie : Une approche musicale, Camion blanc, Rosières-en-Haye, 2016. Page 180.

[4] Cf. Note 1 Page 218.

[5]Cf. Note 1. Pages 212-213.

[6] Mark Blake , Queen : Toute l’histoire, Camion blanc, Rosières-en-Haye 2012. Page 559.

[7] Mark Blake , Queen : Toute l’histoire, Camion blanc , Rosières-en-Haye 2012. Page 558.

[8] Agence Belga, « Queen ouvre le concert géant pour le jubilé de la reine Elizabeth : « C’est merveilleux d’être de retour », dhnet.be, 04/06/2022. Page consultée le : 22/10/2022. Lien : https://www.dhnet.be/medias/musique/2022/06/04/queen-ouvre-le-concert-geant-pour-le-jubile-de-la-reine-elizabeth-cest-merveilleux-detre-de-retour-QIJIEY5DTFAI3CJ4BL55HBHTZQ/

[9] Communiqué de presse. Press Release: Queen – Face It Alone, 13/10/2022. Lien : https://brianmay.com/queen-news/2022/10/press-release-queen-face-it-alone/

[10] Anita Singh, « Queen song featuring Freddie Mercury released after being ‘lost’ for 34 years », The Telegraph, 13/10/2022. Page consultée le 22/10/2022.  Lien : https://www.telegraph.co.uk/news/2022/10/13/queen-song-freddie-mercury-face-alone-miracle/

[11] Id.

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